PENSER TERRE ET MER
Tous les deux mois environ, nous nous réunissons avec quelques amis pour cuisiner autour d’un thème commun. Et ce soir-là, le thème était : terre et mer.
Comble du grand écart, summum de l’audace gastronomique, réunion impossible de deux mondes gustatifs…
Loin de moi l’idée de noyer dans le ressac cette pensée naissante, mais il ne m’a pas fallu attendre d’avoir de l’eau jusqu’aux genoux pour constater à quel point l’exercice est moins téméraire qu’il n’y paraît.
A la recherche de mon joli plat, je me suis rendu compte que la pratique est franchement inscrite dans nos habitudes alimentaires.
Prenez un œuf mollet et asperges garnis de quelques crevettes grises, pensez à notre croquette nationale, un bel exemple où le beurre, la farine et le lait de la béchamel (quoi de plus terrien) rencontrent la saveur concentrée de la mer du Nord. Il y a aussi la salade César où les anchois partent à l’assaut du parmesan, la pizza napoletana, le vitello tonato, la brandade de morue. Et si vous pensez un peu plus loin, jusqu’en Thaïlande, par exemple, vous vous souviendrez du nam pla (sauce poisson) qui vient donner une note de fond et de contraste aux produits de la terre ferme.
Les exemples ne manquent pas. Il me revient aussi le souvenir d’Elio, cet ami turinois de mon père, qui mangeait des anchois marinés à l’huile et à l’ail sur du pain avec une belle couche de beurre !
Là encore, contraste garanti.
Comme toujours, la subtilité reste de mise pour ne pas verser, par exemple, dans le combo sud-africain. Là, d’énormes crevettes viennent coiffer une entrecôte namibienne tout aussi énorme. Bon, je l’avoue, j’en garde une pensée émue…
Rien de bien neuf donc, les Romains l’avaient déjà découvert, eux qui vendaient le garum (condiment salé à base d’entrailles de poissons) au prix du parfum.
J’en étais presque déçu.
Mais relevons la tête moussaillons marmitons, hissons le grand larmentin, souquons les artimuses ! Car ne nous y trompons pas, l’apparente banalité de cette rencontre n’enlève rien à son intérêt et à son efficacité. Dans un jeu de rapports tranchés, la rondeur des éléments terriens se voit striée de zones de crêtes salées et iodées.
Et puis j’avais toujours un plat à élaborer, moi !
Je suis donc parti sur l’huître et le bœuf avec une crème de laitue (crème dont j’avais lu la recette dans le magazine culinaire Ambiance).
Après, j’ai composé.
Que c’est beau ô fils !