PENSER AU BIO

Voici une pensée qui se balade dans ma tête depuis quelques temps. Je l’avoue sans honte, je suis d’un militantisme plutôt mou, trop occupé à m’assurer du bienêtre de mes attablés et craintif à l’idée de troubler leur torpeur gourmande à grands coups de débats d’idées. Je garde donc ma vision du monde pour moi, je ne voudrais pas qu’ils croient que j’essaye de leur imposer quoi que ce soit, de les culpabiliser, de les juger. Régulièrement, au cours de nos nombreux repas, revient le sujet de l’agriculture biologique. Le ton a tendance à rapidement monter, alors qu’émergent les opinions, les émotions, les croyances, les résistances, le rapport à l’argent, à la nourriture, la mauvaise foi, le cynisme, l’égoïsme, le défaitisme voire l’indifférence, même feinte. Je ne suis pas un spécialiste de la question, c’est certain. Je suis juste un amateur de bonne cuisine et de bons produits. Alors, armé de mon expérience de consommateur, de mon bon sens et de toute l’objectivité que veut bien m’accorder ma subjectivité, je voulais partager avec vous mes réflexions sur le sujet au départ de quelques formules récupérées, en fin de soirée, au milieu des assiettes vides.

Le bio, sérieusement, tu y crois, toi ?

  Pourquoi n’y croirais-je pas ? Une méthode de production qui exclut la majorité des produits chimiques de synthèse, les espèces génétiquement modifiées ainsi que la culture intensive et qui favorise la biodiversité, la rotation des cultures, les cycles naturels, l’utilisation d’espèces indigènes résistantes aux conditions locales, la valorisation des déchets et des ressources de la ferme… Pourquoi n’aurais-je pas envie d’y croire ? Un système qui tente de préserver les sols, les sous-sols, l’eau et l’air ainsi que les produits de la récolte et, in fine, les consommateurs que nous sommes, oui, j’ai plutôt envie d’y croire. L’industrie agro-alimentaire et ses scandales à répétition nous ont-ils, à ce point, rendus méfiants et désabusés ? Assez semble-t-il pour ne plus croire en rien sans pour autant remettre en question le système dominant auquel, il est vrai, j’ai de plus en plus de mal à accorder ma confiance.

Le bio c’est vraiment l’arnaque, ils exagèrent dans les prix.

  L’agriculture moderne intensive est fondée sur un production accrue aidée en cela par la mécanisation, l’automatisation, l’utilisation de nombreux intrants (semences, engrais, pesticides), ainsi que par l’uniformisation des espèces, des calibres et au final des goûts. Ne nous leurrons pas, cette course aux hauts rendements n’a pas pour finalité de nourrir sainement la planète entière ni de faire vivre dignement nos producteurs nourriciers. La situation alarmante du monde agricole est d’ailleurs là pour en attester, ce qui n’empêche, pour autant, les grands groupes de l’agro-alimentaire et de la grande distribution de soigner leurs marges, encore et encore. Lorsqu’on sort de cette logique industrielle, le rapport entre le volume produit et les moyens mis en œuvre change, les ressources humaines sont plus nombreuses, les économies d’échelles moindres, les pertes parfois plus importantes, etc. Il ne m’apparaît dès lors pas scandaleux que le prix final soit plus élevé. Je considère cela comme un investissement dans une planète plus saine pour moi, pour vous, pour nous. Enfin, alors que les chiffres de l’obésité mondiale ne cessent de s’alourdir année après année, il est peut-être temps de diminuer la taille de nos portions et comme cela compenser la différence de prix. Manger moins, mais manger mieux, comme disait l’autre !

Le bio, c’est bullshit, c’est juste un effet de mode pour se faire des couilles en or !

  Dans un monde où tout tourne autour de l’argent, c’est certain, n’importe quel engouement est récupérable à des fins mercantiles. Les grandes surfaces l’ont bien compris. De même qu’y fleurissent aujourd’hui des rayons de producteurs locaux, les produits bio ont, en leur temps, été l’objet d’un intérêt nouveau. Mais ne soyons pas naïfs, le but poursuivit par la grande distribution est de nous attirer en ses murs. Car elle sait, qu’une fois à l’intérieur, il sera plus facile de nous séduire avec tous ses produits « indispensables à notre bonheur ». Le bio en grande distribution est avant tout un produit d’appel, une prise de part de marché. Pourtant, il existe certainement, près de chez vous, des producteurs bio et des relais locaux, dont le but premier n’est pas de contenter, toujours plus, leurs actionnaires.

Le bio, c’est n’importe quoi ! C’est sur-emballé…

  Toujours la grande distribution, ses contradictions et ses impératifs. Il est logique, dans un univers se côtoient des produits bio et d’autres issus de la filière classique, d’éviter les contaminations. Emballer les légumes non-traités préserve leur spécificité mais en alourdit l’empreinte écologique. Absurde ? Certainement, mais ce n’est pas tout.  

… et la plupart vient de l’autre bout du monde, bonjour l’empreinte carbone !

  Les grandes surfaces sont des temples d’abondance. Les producteurs et les groupes qui acceptent de les fournir s’engagent à pouvoir honorer des volumes conséquents assurant un réassort régulier, ainsi qu’une invariabilité de tailles, de formes, de couleurs et de goûts. La dernière chose que désirent nos grands magasins, c’est de nous voir bouleversés dans nos habitudes, contrariés dans nos envies au point de changer de crèmerie. Alors, il faut que ça suive ! Et la grande distribution de faire ce qu’elle a toujours fait, en important aujourd’hui massivement des produits issus d’exploitations bioindustrielles, en maintenant la pression sur les prix, avec, au final, un risque avéré d’abaissement des normes afin de préserver ses marges. Décidément, si vous voulez acheter mieux et bio, n’allez plus dans les grandes surfaces. C’est un non-sens, une contradiction. C’est contre nature !

Acheter local, d’accord, mais alors, fini les citrons, les mandarines, les avocats, les ananas, …

  C’est certain, on n’est pas près de voir pousser des mangues au sud du sillon Sambre et Meuse ! Quand on parle de consommation locale et saisonnière, l’idée concerne nos espèces autochtones. Il devient aujourd’hui absurde de les importer sous prétexte de vouloir en consommer toute l’année. Pour ce qui est des aliments plus exotiques et de leurs bienfaits, il n’y pas d’autre choix que de les faire venir avec l’impact écologique que cela suppose. Il est alors préférable de privilégier l’origine la plus proche ainsi que de choisir un label bio et équitable de manière à limiter les dégâts. Malheureusement, le bio d’un pays tiers n’étant pas forcément équivalent à celui imposé par le cahier des charges du label européen, le consommateur risque une nouvelle fois de se voir trompé. Pour ces aliments du bout du monde, un peu de conscience et une sobriété retrouvée reste la solution tout en repartant à la découverte des produits de nos régions.

J’ai mangé une salade bio, hier, quel goût ! Tu retrouves vraiment la saveur des légumes !

  Ah bon ? Loin de moi l’idée de remettre ici en question les expériences des uns et des autres, mais il m’arrive souvent de comparer et de trouver, que ce ne sont pas les légumes bio qui ont forcément le plus de goût. Cette croyance tient, selon moi, du fantasme car nous mangeons aussi avec notre imaginaire. Le cahier des charges du bio, quant à lui, ne vous promet pas ce genre de chose, ni qu’un légume bio sera plus nourrissant que son voisin industriel. Là encore, la réalité m’apparaît moins tranchée que certains voudraient nous faire croire, dans un camp comme dans l’autre. Le goût n’est pas toujours affaire de labels. Je me souviens des salades du jardin de ma mère, jamais je ne retrouve ce goût à la fois frais et terreux, cette structure croquante. Bien sûr, elles avaient été cultivées sans pesticides, mais surtout, elles avaient poussé en pleine terre, à leur rythme, en saison et été récoltées le matin même, à parfaite maturité. Sans ces dernières considérations, le bio se mue en concept creux désormais d’ailleurs repris par les grands groupes qui nous nourrissent, faisant affluer vers nos assiettes des légumes bio, peut-être, mais bodybuildés, issus notamment d’hydrocultures intensives ou de cultures hors-sol, cueillis à sous-maturité, remontant en camions réfrigérés depuis le bassin méditerranéen.

Le bio, c’est moins de produits chimiques dans ma nourriture, pour moi et ma famille

et si les autres veulent s’empoisonner, c’est leur problème…

  Dans une société qui valorise à ce point l’individu, il n’est pas surprenant d’entendre cette remarque. La démarche semble alors s’orienter vers le particulier. Un choix personnel, presque intime. Or, selon moi, la philosophie du bio est avant tout orientée vers la culture et les règles qu’elle édicte ont d’abord un impact sur la sphère que nous partageons. Le choix de cette filière est donc, avant tout, une démarche collective et citoyenne. Dans cette optique, continuer à soutenir une agriculture industrielle intensive et extrêmement polluante, ce n’est pas juste s’empoisonner seul dans son coin, mais bien gâcher les ressources communes.

J’ai vu un reportage, ils ont retrouvé un sac de produits chimiques dans

une exploitation bio…

  Il y a des gens peu scrupuleux partout. Mais dites-vous que s’il y en a d’un côté, il y en a certainement de l’autre et rien ne nous assure que les quantités de versements autorisées avant et après récolte soient toujours respectées en agriculture intensive. Il m’apparaît toujours injuste de jeter un discrédit général au départ de cas particuliers. De plus, toute personne désireuse de se lancer dans la production ou la vente de produits bio est obligée d’être visitée plusieurs fois par an par un organisme indépendant de contrôle et de certification. Et même si la certification européenne semble plier sous la pression de l’agro-industrie, il existe, d’autres labels indépendants plus pointus comme Bio Cohérence, Demeter, Nature et Progrès, pour ne citer que ceux-là. Enfin, il serait injuste de ne pas parler d’une agriculture raisonnée, qui, même sans label, tente de limiter au maximum l’utilisation d’intrants classiques, ce qui est déjà un moindre mal.

Le bio, ça me fait bien rire, aujourd’hui, de toute façon, tout est pollué.

  C’est vrai, on retrouve aujourd’hui des agents polluants jusque dans nos eaux souterraines. Les activités agricoles, industrielles et résidentielles sont à pointer du doigt. Dans ce contexte, le bio semble, une fois de plus, attirer à lui d’étranges espérances et illusions. Il n’est pourtant promis nulle part que l’agriculture biologique produira des aliments totalement exempts de résidus chimiques. La contamination générale reste ce qu’elle est. Par contre, s’il est une résultante évidente d’un mode de production plus respectueux, c’est de diminuer, en partie, la quantité de produits nuisibles déversés dans notre environnement.

Grâce au bio, plus aucun produit toxique !

  Quand il s’agit d’alimentation et d’agriculture, la réalité est plus complexe que cela et rien n’est anodin. De manière à limiter les intrants, l’agriculteur bio met tout en œuvre pour s’assurer de faire pousser des plantes fortes et donc résistantes (respect des équilibres naturels et des saisons, biodiversité, vie du sol, espèces autochtones, etc.). Cependant, il dispose, lui aussi, d’une quantité de produits d’origine naturelle lui permettant de gérer les problématiques les plus courantes (moisissures, maladies, nuisibles,…). L’origine naturelle de ces substances nous protège-t-elle d’une forme de toxicité ? Probablement pas car tout est question de quantité. Parmi ces substances, le souffre revient souvent, le cuivre aussi et quelques uns de s’interroger sur la concentration importante de ce dernier dans les sols de certaines exploitations biologiques. Rester prudent et critique m’apparaît sain pour ne pas sombrer dans le discours idéologique.
Au final, le bio semble parfois glisser vers ce concept un peu flou, ce mot à tiroirs dans lequel chacun, producteur, distributeur comme consommateur, enfourne ce qu’il veut, en fonction de ses convictions et intentions, bonnes ou moins bonnes. Attirant la méfiance ou porté aux nues, le bio n’est pas à l’abri de se muer en concept marketing creux, commercialement récupérable et récupéré ou en fantasme à la mode, sans réflexion et sans poser un regard lucide sur notre manière générale de consommer. Si l’avenir de notre assiette, de notre planète ainsi que des ressources qu’elle nous offre passera par la réappropriation de notre agriculture, par plus de justice pour les producteurs comme les consommateurs, par plus de sobriété aussi et si la seule filière qui nous permet de prendre cette voie semble être celle de l’agriculture biologique, cela ne peut s’envisager sans conditions.
Alors, le bio, oui, mais de saison, local, issu de circuits courts tout en mangeant moins, en cessant de nous remplir pour réguler nos humeurs, en diminuant notre consommation de viande et de protéines animales. Le bio, oui, mais en désertant la grande distribution, son abondance absurde et ses contraintes industrielles, en arrêtant de croire l’industrie agro-alimentaire et en finir avec ce qui nous empoisonne. Le bio, oui, sauf s’il faut faire quarante minutes de voiture pour s’acheter une bonne conscience. Le bio, oui, mais en acceptant de dégager du temps et de l’argent pour investir chaque repas. Et à ces conditions, peut-être, sauver ce qui peut encore l’être…
Voici, pour terminer, une proposition simplissime, brute, divine de contraste où les produits s’expriment avec peu d’artifices. Il s’agit, à la base, d’une recette d’Alain Passard passée entre les mains de mon ami Xavier D.

apostrophes alone2Betteraves en croûte de sel / beurre aux zestes de citron

Pour 4 personnes :

2 betteraves bio au choix (de la taille d’une grosse pomme)

100 g de beurre bio

 

1 citron jaune bio

1,5 kg de gros sel gris

 

Fleur de sel, poivre

 
Préchauffer le four à 140°C. Brosser les betteraves sous l’eau pour en éliminer les restes de terre. Bien les sécher.
Déposer les betteraves sur une couche de gros sel et les recouvrir complètement.
Enfourner à 140°C durant 1 heure. Éteindre le four et y laisser reposer les betteraves dans leur croûte durant 1 heure supplémentaire.
Réaliser un beurre clarifié (faire fondre le beurre au bain-marie et, une fois entièrement fondu, écumer la surface puis transvaser délicatement de manière à laisser le sérum dans le fond du récipient). Réchauffer le beurre clarifié dans un poêlon. Il doit être juste chaud, pas brûlant. Y râper le zeste d’un citron jaune et ajouter quelques gouttes de citron.
Casser la croûte de sel, récupérer les betteraves et les brosser pour en éliminer le sel. Découper des suprêmes et arroser de beurre au citron. Assaisonner de fleur de sel et de poivre.

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