PENSER À L’AIL NOIR
Je ne sais pas ce qui se passe, mais ces derniers temps, c’est comme si je recherchais toujours plus de goût, plus de concentration, plus de densité. Cela m’inquiète ? Non, pas vraiment, quoique… Je me surprends, petite cuillère à la main, à plonger dans le pot d’extrait de bœuf, à goûter du dashi, du ponzu, du jang, à gratter les sucs de cuisson au fond de la poêle… Rush, flash gustatif, défonce des papilles, éclate du palais. Pourquoi cette recherche extrême ? Je me le demande bien. Cela a-t-il quelque chose à voir avec mes fantasmes d’absolu ? Est-ce une manière de fuir à tout prix la platitude d’un fade moment ? J’interromps là cette séance d’auto-analyse possiblement stérile et me raccompagne à la porte de ce cabinet intérieur. Pour les honoraires, je les mettrai sur ma note car l’important dans la dissociation, c’est d’être droit dans ses comptes, sinon c’est le bordel !
Poursuivant le fil de cette pensée, je m’interroge quand même sur la quantité de sodium accompagnant ces petits écarts. De plus, nos papilles ayant une fâcheuse tendance à s’habituer à tout, l’escalade me guette ainsi que le risque, au final, de tout trouver aussi fade que du coton cuit à l’eau.
C’est en poursuivant cette recherche de saveurs intenses que j’ai découvert l’ail noir ou plutôt expérimenté, car ce n’est évidemment pas moi qui l’ai découvert au sens premier du terme…
Déjà rien que le nom. Ajoutez l’adjectif noir à n’importe quoi et la chose devient tout à coup mystérieuse : diamant noir, or noir, pavillon noir, soleil noir… L’insondable côtoie le secret, le rien semble être habité de tout, comme ayant absorbé l’ensemble des possibles. Et tout à coup, cet ail noir me semble être cette chose rare, précieuse, arrachée à une jungle dense où des populations préservées, dans des rais de lumière humides et épais, offrent à des divinités de pierre, ce présent de la terre… je m’emballe, je m’emballe.
Les premières têtes d’ail noir que j’ai trouvées, c’était chez Ali Import. Kris et Glenn Van Dorpe, passionnés de produits japonais et fournisseurs en algues pour l’Air du Temps** à Liernu, m’avaient raconté l’histoire de cet ail venant d’Aomori. L’aventure et le mystère étaient au rendez-vous avec ce produit fermenté près de deux mois dans une eau de mer de grande pureté, préservé par des récipients d’argile. Oooooooh !
Depuis j’en ai également trouvé chez Cru, originaire d’Espagne cette fois. L’aventure s’éloigne, je préférais ma version Bob-Moranesque, même si le goût me semble assez proche.
L’ail développe en effet des arômes puissants et ronds, tertiaires, confits où le pruneau chatouille la réglisse avec même une légère pointe balsamique. De plus, ce nouvel état lui donnerait des vertus immunitaires insoupçonnées.
Utilisé tel quel, en petits morceaux, dans une préparation froide (salade, tartare,…) ou chaud, en sauce, voilà une sensation musclée et inconnue qui devra être utilisée avec parcimonie sur des produits délicats (viandes blanches, poissons blancs, Saint-Jacques,…) et plus affirmée sur des viandes goûteuses ou sur du gibier.